Point d’étape sur la proposition de loi visant à remédier aux déséquilibres du marché locatif
BILAN — Accusées de provoquer la raréfaction des logements offerts à la location à l’année, les meublés de tourisme sont dans le collimateur des pouvoirs publics. La proposition de loi visant à remédier aux déséquilibres du marché locatif, déposée à l’Assemblée nationale au printemps dernier par les députés Renaissance, Socialistes, Horizons et apparentés, constitue sans doute l’attaque la plus forte de ces dernières années menée contre les locations de courte durée.
En novembre dernier, le Gouvernement engageait la « procédure accélérée » sur la proposition de loi visant à remédier aux déséquilibres du marché locatif. Elle ne fera donc l’objet que d’une seule lecture par l’Assemblée nationale et le Sénat. C’est bien le signe de l’intérêt qu’elle suscite auprès de Matignon. Les rapporteurs de la loi, les députés Iñaki Echaniz (Socialistes) et Annaïg Le Meur (Renaissance), tablaient même sur une adoption au Palais Bourbon dès le 6 décembre 2023. Toutefois, les débats ayant été houleux — les rapporteurs ont publié un communiqué dénonçant une obstruction des députés RN et LR —–, la suite de la discussion ne pourra pas se tenir avant la fin janvier 2024. Il n’est cependant pas inutile d’évoquer les mesures phares du texte, tel qu’amendé en commission et en séance publique. Elles ont en effet de bonnes chances d’exister encore dans la version finale.
Extension de l’encadrement des changements d’usage à toute la France (à la main des collectivités). Tout d’abord, le texte en projet réécrit l’article L.631-9 du Code de la construction et de l’habitation pour permettre aux collectivités de toute la France de décider elles-mêmes — la délibération doit être motivée — de soumettre à autorisation les changements d’usage (amendement adopté en commission n° 178). C’est une des raisons pour lesquelles la précision « en zone tendue » a été retirée du titre initial de la proposition de loi. À ce jour, en dehors des zones tendues, une collectivité ne peut encadrer les changements d’usage qu’avec l’accord du préfet.
Extension des exigences de performance énergétique aux meublés touristiques. En zone d’encadrement, pour obtenir une autorisation temporaire de louer en meublé – courte durée, la proposition de loi prévoit qu’il faudra désormais « justifier » du respect des exigences énergétiques applicables aux logements loués à titre de résidence principale (selon le même calendrier) ! Rappelons ici que les personnes louant leur résidence principale quelques jours ou semaine dans l’année n’ont jamais d’autorisation à demander (article L.631-7-1 A, dernier alinéa du CCH). Dès lors, elles pourront continuer à effectuer des locations touristiques quelle que soit la performance énergétique du logement qu’elles habitent.
Possibilité de n’autoriser que 90 jours de location — au lieu de 120 — pour les personnes louant leur résidence principale (à la main des collectivités). En l’état actuel du texte, une collectivité pourra décider qu’une personne louant sa résidence principale n’aura le droit de la louer que maximum 90 jours dans l’année, contre 120 jours maximum aujourd’hui. On s’étonne des arguments apportés pour justifier la mesure. L’amendement adopté en commission n° 88 insiste en particulier sur le fait qu’en comptant les jours de congés payés, les jours fériés et les weekends, les occupants peuvent déjà être absents 129 jours par an… Si on ajoute 120 jours de location, « cela apparaît difficilement compatible avec une occupation réelle d’un logement comme résidence principale au moins 8 mois par an ». C’est pour le moins intrusif… Par ailleurs, on ne voit pas bien l’intérêt de la mesure. Puisque l’on parle de résidence principale, l’éventuelle limitation à 90 jours ne va pas pour autant amener l’occupant à mettre son logement sur le marché de la location à l’année. Il lui sera simplement interdit, au-delà de 90 jours, de louer à des touristes son logement les jours où il est absent.
Possibilité pour une commune d’imposer un nombre maximum d’autorisations temporaires à délivrer (tous propriétaires confondus). Selon le texte en projet, afin d’agir sur le nombre de locations saisonnières sur leur territoire, les collectivités auront désormais la possibilité de fixer un nombre maximal de nouvelles autorisations temporaires délivrables, non pas par propriétaire mais pour tous les propriétaires confondus. Dans ce cas, la délibération locale devra définir une « procédure de sélection entre les candidats » et chaque autorisation ne pourra valoir que 5 ans (l’idée étant de permettre aux recalés de retenter leur chance assez vite).
Possibilité de réserver les constructions nouvelles à un usage strict d’habitation principale ! C’est probablement l’une des mesures les plus attentatoires au droit de propriété contenues dans le texte en projet. Ce dernier prévoit en effet que, notamment là ou s’applique la taxe sur les logements vacants, le règlement du PLU pourra délimiter des secteurs dans lesquels toutes les constructions nouvelles de logements devront être à usage exclusif de résidence principale (1). 9300 communes seraient concernées. En cas d’infraction, et après mise de demeure d’avoir à régulariser la situation, le maire pourrait infliger une astreinte de 1000 € par jour de retard avec un maximum de 100000 € au total! Cette mesure suscite évidemment de multiples interrogations. Elle ne se rapproche d’aucune « servitude de logement » aujourd’hui connue. Si les articles L.151-14 et suivants du Code de l’urbanisme permettent déjà de délimiter dans le PLU des emplacements réservés aux « logements », d’imposer des « catégories de logements » ou des « logements d’une taille minimale » à l’occasion de nouveaux programmes immobiliers, il s’agit en pratique d’imposer des logements sociaux, intermédiaires ou de favoriser l’installation de familles en résidence principale (s’agissant des servitudes de taille minimale). Non d’imposer un usage à titre d’habitation principale. Plus largement, la règlementation des changements d’usage vise à interdire d’utiliser un logement (à usage d’habitation) comme meublé touristique (considéré comme un usage commercial). Avec la mesure envisagée, il s’agit d’obliger à un usage d’habitation principale au sein même de la catégorie « habitation ».
Forte remise en cause du régime fiscal des meublés. Pour terminer, la proposition de loi examinée plombe le régime fiscal actuel des locations meublées de courte durée (ce point n’a cependant pas encore été examiné en séance publique). À l’heure où nous écrivons ces lignes, le projet de loi de finances pour 2024 supprime l’abattement de 71 % dans le cadre du « micro BIC » pour les meublés classés (sauf meublés classés situés en zone non tendue et dégageant moins de 50000 € de recettes), mais pas pour les chambres d’hôtes. La proposition de loi va beaucoup plus loin:
> elle étend la suppression de l’abattement de 71 % aux chambres d’hôtes.
> l’abattement forfaitaire de droit commun de 50 % passe à 30 % pour tous les meublés saisonniers (classés ou non). Par ailleurs, le micro-BIC est désormais réservé aux meublés classés dégageant moins de 30000 € de recettes (contre 188700 € à ce jour) et aux meublés non classés dégageant moins de 15000 € de recettes (contre 77000 € à ce jour). Le régime fiscal en micro des meublés touristiques non classés est donc aligné sur celui des locations vides.
> Enfin, le texte en projet revient sur le calcul de la plus-value pour les loueurs en meublé non professionnels. Ces derniers bénéficient du régime des plus-values non professionnelles. Jusqu’ici, les LMNP n’ont pas à déduire du prix d’achat les amortissements éventuellement pratiqués, alors que les LMP doivent le faire (dans le régime des plus-values professionnelles). A l’avenir, les LMNP devraient, comme les LMP, déduire les amortissements pratiqués. Selon les auteurs de l’amendement adopté en commission n° 201, il s’agit de « rééquilibrer les arbitrages des propriétaires » (CE201). Sans entrer dans le détail de ce point technique, on peut gager que ce sont surtout les petits propriétaires, ceux qui louent un ou deux meublés pour compléter leur retraite, qui vont pâtir de ces mesures. Ce sont eux qui ont tendance à choisir le régime « micro », car plus simple à défaut d’être plus avantageux. Les investisseurs, eux, se placent généralement sous le régime réel. L’UNPI se bat en ce moment même pour tenter d’infléchir les mesures les plus négatives de la proposition de loi « Le Meur ». Elle a cependant face à elle une majorité décidée à en découdre avec la location touristique. Et qui semble oublier que, peut-être, si des propriétaires se détournent de la location à l’année, c’est en raison des contraintes fiscales et règlementaires écrasantes qu’elle induit. Ce n’est pas en matraquant les locations touristiques que l’on encouragera les propriétaires à revenir sur le marché traditionnel. Mais plutôt en libérant — ne serait-ce qu’un peu — la fiscalité et la réglementation, ou, entre autres difficultés majeures, en facilitant l’expulsion des locataires indélicats (compter encore un à deux ans, malgré la loi Kasbarian…).
Par Frédéric Zumbiehl, juriste UNPI